Quelle est la nature du rapport que la gauche entretient avec le pouvoir ? Jean-Noël Jeanneney et Anne-Laure Ollivier tentent de répondre à cette vaste question en mobilisant différents moments de l’histoire des gauches françaises pour éclairer les perspectives qui s’offrent à elles aujourd’hui. Les positions tenues actuellement par les différentes forces du Nouveau front populaire reflètent-elles des positions historiques des gauches françaises ?
Réforme ou révolution : le dilemme qui déchire la gauche depuis sa naissance
Spécialiste de la IIIe République, Jean-Noël Jeanneney convoque l’épisode de l’Affaire Dreyfus, un moment charnière pour la gauche, révélateur de la divergence de stratégie entre réforme et révolution. Jaurès prend la défense du capitaine Dreyfus au nom du principe républicain de défense des individus opprimés tandis que Jules Guesde, l’introducteur du marxisme en France, lui répond “de ne pas perdre son temps à défendre un militaire bourgeois. Il y a cette idée chez les partisans de Jules Guesde que la réforme est dangereuse parce qu’elle désarme le potentiel révolutionnaire du monde ouvrier”, remet Jean-Noël Jeanneney. “En revanche, Jaurès, qui s’inspire de l’allemand Eduard Bernstein, dit qu’il faut revenir à l’idée d’un certain réformisme et que toute avancée au profit de ceux qui sont opprimés est bonne dans l’ordre politique et dans l’ordre social”. Cette opposition entre deux gauches se retrouve à de nombreux moments de l’histoire du XXe siècle, même lors du Front populaire en 1936, lorsque Marceau Pivert, représentant de l’aile révolutionnaire de la SFIO, affirme qu’il faut aller plus loin et qu’il est possible de “renverser la table”, selon les dires de Jean-Noël Jeanneney.
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La gauche et le pouvoir : un rapport “torturé”
Anne-Laure Ollivier explique de son côté que la gauche entretient un rapport “torturé” au pouvoir bien que l’arrivée de François Mitterrand en 1981 à la tête de l’Etat ait contribué à faire diminuer ce complexe. Selon elle, “l’échec fondamental des élections de 2017 pour la Parti socialiste a réactivé cette prudence face au pouvoir et la volonté qui ressurgit régulièrement chez les socialistes de se préserver d’un pouvoir dangereux. On sait que depuis la fin du quinquennat de François Hollande, les socialistes ont l’étiquette de traître collée dans leur dos. Si Olivier Faure affirme vouloir prendre ses responsabilités et considère La France Insoumise comme les pires apôtres de la Ve République en ne pensant qu’à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon recommence à parler de traîtrise, et ce discours résonne auprès de la base électorale”. Anne-Laure Ollivier souligne également les problèmes structurels de la gauche aujourd’hui : sa faiblesse numérique, en termes d’électeurs et de parlementaires, l’enjeu de reconquérir un électorat populaire mais aussi son rapport au Parlement, qui n’est, à ses yeux, “pas tout à fait tranché, notamment du côté de la France Insoumise”.
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Faut-il repenser le cadre dans lequel se forme un gouvernement ?
Prenant appui sur les expériences de la IIIe et de la IVe République, Jean-Noël Jeanneney estime par ailleurs que les tractations actuelles pour former un nouveau gouvernement seraient plus efficaces si elle se déroulait à Matignon plutôt qu’à l’Élysée. “Sous la IIIe et la IVe République, le président avait une autorité plus morale que politique, explique-t-il. Il demandait à quelqu’un de voir s’il pouvait constituer le gouvernement, pour lever l’hypothèque, comme on disait. La négociation ne se faisait pas à l’Élysée mais à l’hôtel de Matignon. Et je pense que c’était un meilleur système. Supposez qu’Emmanuel Macron demande à Bernard Cazeneuve d’essayer de former un gouvernement, on aurait vu ce qu’il en était et on aurait mis les partis devant leurs responsabilités, en particulier le Parti socialiste. Les choses auraient fonctionné différemment”. Il insiste sur le fait que l’on n’a pas pris pleinement conscience de cette latitude au moment de former un nouveau gouvernement, une latitude précisément permise par notre Constitution.
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