Dans un épisode précédent je vous ai parlé de ce livre que j’aime beaucoup : Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes ? de Srdja Popovic. Ou en anglais Blueprint for Revolution qui est donc, comme son nom l’indique, un manuel pour faire la révolution.
Dans le chapitre « Voyez grand mais commencez petit », Popovic donne ce conseil à n’importe quel activiste qui voudrait rallier du monde à sa cause : « Commencez par supposer que la plupart des gens s’en fichent, sont dépourvus de motivation, apathiques ou carrément hostiles. Puis prenez une feuille de papier et tracez une ligne. Placez-vous d’un côté de cette ligne et pensez aux gens qui pourraient faire front commun avec vous. »
Popovic développe l’idée que les grandes causes, les grandes idées un peu abstraites, ça ne mobilise pas. Ce qui marche c’est de partir de ce qui préoccupe vraiment les gens, dans leur vie de tous les jours. Ce que disait aussi, à sa manière le chercheur Théodore Tallent, que vous avez reçu récemment.
En suivant cette logique, on pourrait donc se dire que, pour que des gens votent pour l’écologie, peut-être qu’il faut… ne pas parler d’écologie. Mais plutôt de tout ce qu’une société plus écologique nous apporterait.
Faire comme monsieur Jourdain, de l’écologie sans le savoir…
Par exemple, puisqu’on nous répète tout le temps que ce qui préoccupe le plus les français c’est la sécurité dans toutes ses dimensions (financière, sanitaire, criminalité…) on pourrait construire un discours écologique totalement axé sur « être plus en sécurité ».
Ça ressemblerait à : Les français sont inquiets. Et moi je veux que chaque française et chaque français aille se coucher chaque soir en se disant que demain, il sera plus en sécurité qu’aujourd’hui.
Je veux que chaque parent soit certain qu’aucun produit chimique dangereux ne se retrouvera dans la nourriture de ses enfants, dans sa poêle ou dans son gel douche.
Donc nous allons interdire les molécules qui ont identifiées comme perturbateurs endocriniens, cancérigènes et engager une vaste politique de soutien à l’agriculture biologique.
Je veux que chaque française et chaque français soit sûr de pouvoir payer sa facture d’énergie chaque mois. Donc nous allons la faire baisser, radicalement, en lançant une grande politique d’isolation des logements et d’économie d’énergie. Parce que l’énergie la moins chère, c’est celle qu’on ne consomme pas. Et puis, nous ne pouvons plus dépendre du gaz russe et du pétrole américain… Nous allons produire notre énergie localement, sur chaque territoire. Une énergie renouvelable, parce qu’à la fin du mois, le soleil n’envoie pas de facture, le vent n’envoie pas de facture, les rivières n’envoient pas de facture. (Il faut des punchlines aussi).
Je veux que chaque française et chaque français puisse manger à sa faim et les meilleurs produits de nos beaux terroirs (et bim on reprend ça à l’extrême droite). Dans ce monde de plus en plus incertain, où des guerres éclatent, où des sécheresses sévissent, être plus en sécurité, c’est être plus autonomes. Nous allons donc lancer un vaste plan pour que des millions de petites fermes bio s’installent partout dans le pays et favoriser les circuits courts, du producteur au consommateur. Pour que les français payent moins et que les agriculteurs gagnent plus.
En faisant tout cela, nous allons créer plusieurs centaines de milliers d’emplois très qualifiés, non-délocalisables. Parce que je veux que chaque française et chaque français ait un emploi qu’il aime. Un emploi qui dure, qui ne sera pas remplacé par un robot ou par quelqu’un à l’autre bout du monde.
Bref, vous avez compris l’idée. Je pourrais continuer comme ça sur presque tous les sujets.
Tout dépend en fait de la façon dont les choses sont présentées. Par les politiques, mais aussi par les médias. Du récit.
Parce que finalement, assurer la sécurité des français c’est quoi ?
Selon une étude de Harvard la pollution de l’air tue près de 100 000 personnes par an en France. Ça fait 1 000 000 depuis 10 ans.
En comparaison le terrorisme a tué 273 personnes entre 2012 et 2023.
Si on répétait ça toute la journée à la télé, à la radio, ça changerait l’ordre des priorités non ? Au lieu de dire : l’écologie punitive veut vous priver de votre bagnole on dirait, nous allons tout faire pour vous libérer de votre voiture, qui vous coûte cher, qui pollue. Vous donner les moyens de vous déplacer sans avoir à payer un plein d’essence, une assurance, un crédit, avec des transports en commun plus nombreux, plus fréquents, des voitures électriques partagées, des vélos… Et on sauvera 100 000 personnes par an.
Alors voilà. Faire gagner l’écologie dans les urnes c’est faire gagner un nouveau récit.
Parce que nous les humains, ne sommes pas des êtres rationnels, nous sommes une espèce fabulatrice, comme l’écrit Nancy Huston.
Et c’est de ça que je vous parlerai… la semaine prochaine !
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