Deux lieux, deux ambiances. En Syrie, une humiliante retraite pour l’armée russe : une colonne d’une centaine de véhicules a pu quitter Damas hier pour évacuer quelque 500 soldats russes qui étaient coincés depuis la chute du régime de Bachar el-Assad.
Pour évacuer ces hommes et leur matériel vers une base russe de la côte syrienne, Moscou a dû négocier avec les nouveaux maîtres de la Syrie, des hommes que l’aviation russe bombardait sans ménagement précédemment.
Au même moment, à Moscou, Vladimir Poutine n’a toujours pas dit un mot de l’échec cuisant qu’il a subi en Syrie, avec le renversement de son principal allié au Moyen Orient ; à la place, il menaçait hier … l’Occident ! Lors d’une conférence devant des cadres militaires, le président russe a accusé hier les Occidentaux de pousser la Russie vers une « ligne rouge devant laquelle elle ne pourra pas reculer ».
L’objet de la colère présidentielle, l’installation en 2026 en Europe de missiles américains de portée intermédiaire, qui, selon Poutine, menacent le territoire russe. Il s’est dit prêt à procéder lui aussi à une escalade avec les missiles hypersoniques Oreshnik dont il a testé un modèle le mois dernier contre l’Ukraine.
Il existe bien sûr des sujets de contentieux militaire entre la Russie et l’Occident, nés de l’effondrement ces dernières années de presque tous les traités de contrôle des armements issus de la guerre froide.
Mais on ne peut pas ne pas être frappé par le moment choisi : la perte de la Syrie est l’un des plus graves revers stratégiques russes depuis longtemps. Ce sont des décennies de présence dans ce pays, remontant à l’époque soviétique, qui sont menacés de disparaître, et avec elle l’espoir de retrouver le statut de puissance mondiale de la Russie.
Si Moscou a négocié de pouvoir rapatrier en bon ordre ses troupes dispersées en Syrie vers ses deux bases de la côte, le sort de ces bases n’est pas encore décidé, selon le porte-parole du Kremlin Dimitri Peskov. Or ces infrastructures syriennes ont une valeur stratégique pour la Russie : elles sont son seul ancrage en Méditerranée ; une base arrière, de surcroit, aux opérations russes en Afrique, menées par l’ex-Wagner, rebaptisé Afrika Korps.
Il y a quelques semaines, tout allait bien pour le dirigeant russe : il progressait sur le front ukrainien, Donald Trump était élu avec la promesse de cesser d’aider Kiev, la Géorgie restait dans son giron, les Européens étaient divisés, et les Américains étaient empêtrés dans les conflits du Moyen Orient.
La perte de la Syrie vient affaiblir Poutine à la veille d’échéances majeures pour lui, avec l’installation de Donald Trump à la Maison Blanche dans cinq semaines, et les grandes manoeuvres diplomatiques en cours autour de l’Ukraine.
Pour reprendre la main, Poutine menace, c’est ce qu’il fait de mieux. Et il sait qu’il y aura toujours des Occidentaux pour se demander s’il bluffe ou s’il est sérieux. C’est sa manière à lui de compenser ses points faibles.
Comme toujours dans les crises internationales, la faille pour lui est venue là où on ne l’attendait pas, de cette Syrie qui semblait congelée dans ses ruines après une décennie de guerre interne remportée par le régime et ses parrains russe et iranien. Ce que la Syrie est venue rappeler au monde, c’est que Vladimir Poutine n’est pas invincible.