Forcément, le procès d’un ancien commissaire d’exposition pour le vol d’une œuvre au musée européen de la Photographie, ça attire la curiosité du chroniqueur judiciaire. Qui s’imagine découvrir un trafiquant chevronné, ou un collectionneur compulsif qui aime reconstituer une véritable galerie d’art à son domicile. Mais avant-hier, devant la 12è chambre, c’est un vieil homme cabossé qui s’est péniblement avancé à la barre. Dominique aura 80 ans au printemps.
– “Je suis psychiatriquement assez malade”, prévient-il, “je suis expertisé bipolaire, cleptomane, dystopique, histrionique et dépressif.”
Le président écarquille les yeux. Mais la juge rapporteure n’a pas l’air d’y croire une seconde.
– “Non, non, non, non, non”, lâche-t-elle en attaquant le dossier. “Tous les bipolaires ne volent pas des tableaux, se moque-t-elle.”
En fait, Dominique a volé une photo, l’a ramenée chez lui, en a fait une très belle copie et a renvoyé l’original au musée par la Poste, en prenant soin de l’empaqueter délicatement.
– “Une photo signée Boris Mikaïlov”, lit la juge, un artiste russe… “Ah non, Ukrainien. C’est pas le moment de se tromper,” rigole-t-elle.
– “Ben oui” proteste Dominique, ”lI a été racheté par Pinault pour la Bourse du Commerce, un peu dépité que la magistrate ne connaisse pas l’artiste’.
– “Bon, c’est un nu”, poursuit la juge.
– “Je peux la voir ?”, réclame le président.
– “Mais oui, t’inquiète pas, tu vas la voir”, répond sa collègue en cherchant dans son dossier.
Dominique raconte qu’il n’a aucune excuse pour ce vol
– “La bipolarité me fait faire des trucs insensés, avoir des pulsions irrésistibles, voler sur un coup de tête ou dépenser beaucoup d’argent,” confie le prévenu aujourd’hui placé sous curatelle renforcée.
Et sa curatrice confirme qu’il perçoit une retraite de 3 600 euros par mois mais que son plan de surendettement ne lui laisse que 400 euros pour vivre.
– “J’ai du plaisir et de l’excitation à faire ça, mais après la crise, je regrette beaucoup ces actes irréfléchis”, précise Dominique.
– “Oui”, semble convenir le président, “j’ai connu quelqu’un qui était bipolaire, je comprends très bien ce qui a pu se passer.”
Mais la juge assesseure n’est toujours pas d’accord. Elle relève que Dominique a déjà commis deux autres vols d’œuvres d’art dans le passé. Et la première fois, il avait même brûlé le tableau.
– “Oui, ça m’a coûté 2 000 €”, convient Dominique, “mais ça, c’est pareil, même genre d’hallucination, un truc bipolaire extrême, et hop. Les médecins le confirment”, insiste-t-il.
– “De toute façon, la première expertise est complètement nulle, tranche la juge, et la deuxième, on l’a jamais reçue. Et après, les experts râlent parce qu’ils sont payés comme des femmes de ménage”, commente-t-elle.
– “Ben c’est peut-être parce qu’ils sont payés comme des femmes de ménage qu’ils travaillent mal”, inverse le président.
– “Vous n’avez qu’à me condamner, qu’est ce que vous voulez que je vous dise”, abandonne Dominique, fâché qu’on doute de ses problèmes insurmontables.
La procureure retiendra que les faits sont reconnus mais que la bipolarité de Dominique est attestée. Elle ne réclame ni amende, ni emprisonnement. Mais juste une interdiction de fréquenter les musées et les galeries d’art pendant trois ans. Le tribunal retiendra cette peine en ramenant à un an l’interdiction faite à Dominique d’assouvir sa passion.